Mad world

C’était comme un marteau piqueur dans sa tête. Il la regardait dormir paisiblement alors que lui devait lutter constamment pour ne pas laisser céder le mur de ses pensés. Assis sur la commode, il la fixait. Ses yeux d’un bleu si pure étaient comme recouvert d’un voile blanchâtre. Il les ferma un bref instant, clignant sans plus. Il ne supportait plus de les garder clos. Il ne supportait plus de voir ce qui se passait dans sa tête. C’était pourquoi il ne fermait plus l’œil de la nuit. Il la regardait. Il se demandait souvent qui l’aimait vraiment entre les deux. L’autre était-il seulement capable d’aimer? Il savait en tout cas que ce n’était pas lui qu’elle aimait. Il cligna des yeux à nouveau. C’était comme s’il avait reçu une giclée de sang en plein visage. Il pouvait le voir comme coller à l’envers de ses paupières. Il pouvait sentir sa chaleur contre sa peau.

Il sentait les coups au fond de son crâne, comme un clou qu’on enfonçait encore et encore. Il aurait voulu s’enfuir, mais il ne pouvait s’enfuir de lui-même. Tout ceux qu’il approchait étaient frappé de sa douleur, lui le premier. Il aurait sans doute dû en devenir fou depuis tout ce temps, des siècles, prisonnier. Peut-être l’était-il en fin de compte. Peut-être était-ce pour ça qu’il ne dormait plus, qu’il la regardait en luttant dans un combat qu’il savait perdu d’avance. Il aurait voulu être mort, depuis longtemps déjà, quand il était encore jeune et loin de la véritable Souffrance, comme ça aurait dû se passer. Non, il avait fallu qu’à genoux il supplie. Qu’il prie ce dieu qui déjà lui avait tourné le dos. Il avait fallut qu’il aille peur de la mort et pas de ce que la vie lui réservait.

Il chantonnait à voix basse, dans un murmure comme entrecoupé de sanglots silencieux. Il chantonnait pour se donner du courage, pour essayer de croire qu’il n’était pas seul...alors qu’au final il aurait tout donné pour l’être. Au fond, il était encore cet enfant terrifié. Sentant la faiblesse monter du fond de ce qui restait de son âme, il se volatilisa, la laissant dormir. Toujours à l’abri sous son masque au sourire indélébile, il se retrouva sur une chaise dans le jardin à l’arrière. Il avait besoin d’air, mais peu importe, c’était comme s’il ne respirait pas. Il sentait ses poumons se remplir de vide. Il ne put le retenir plus longtemps. Ce son, ce cri étouffé entre ses doigts pressant cette bouche factice. Comme la lamentation d’un animal blessé, suppliant qu’on l’achève. Comme les pleurs d’une mère serrant le corps sans vie de son enfant contre son sein. Comme les dernières pensées du combattant sentant son dernier souffle s’échapper, sachant que plus jamais il ne reverra les siens. C’était le chant de la douleur. L’expression de siècles et de millénaires de souffrance. La clameur de tous ceux qui un jour avaient été blessé, de tout ces gens qu’il voyait défiler à la seconde où il fermait les yeux.

Il ne pouvait pas dormir. Il ne pouvait pas pleurer. Il était une enveloppe qui aurait voulu être vide. Pour une fois, il aurait voulu être seul.

Il ne l’entendit pas approcher. Il n’aimait pas la façon dont elle le nommait. Il n’était pas beau d’abord. Oui, son visage était nettement moins endommagé qu’avant, mais il n’était tout de même pas normal. Plus encore, il n’était pas « son » beau. S’il appartenait à quelqu’un c’était à celui qui le tenait au piège depuis des siècles. Elle passa sa main contre la joue de son masque. Ce geste tendre le laissa de marbre. Puis elle prit sa main. Pourquoi était-elle si gentille avec ce monstre? Même à elle, il n’apportait que de la souffrance. C’était ce qu’il était après tout.

- Tu ne veux pas me parler.

La voix était toujours la même. Cependant, quelque chose dans l’intonation était différent lorsqu’Antonin parlait à sa place. C’était un peu plus enroué, comme si chaque mot demandait un grand effort pour être prononcé. C’était une voix qui sonnait plus usée et abîmée. Il savait bien que maintenant Lully réalisait auquel elle s’adressait. Probablement que comme d’habitude elle se fâcherait et ne voudrait plus rien savoir de lui. Depuis qu’il était revenu près d’elle, il n’avait plus personne à qui parler. Antonin savait aussi qu’il ne pourrait pas retourner dans sa famille. Il était trop dangereux pour Edric et pour ses presque frères. La seule personne à qui il aurait pu tenter d’adresser la parole aurait été sa fille, mais elle préférait rester à l’écart et il la comprenait. Il n’insistait pas davantage. Il n’avait pas envi de lui expliquer que son père était un type du moyen-âge possédé par un être cruel.

- Comment peux-tu l’aimer?

Comment qui que ce soit pouvait-il éprouver la moindre affection pour un être à peine humain qui n’avait d’autre ambition que de répandre la douleur. Il s’était souvent posé la question depuis que Lully était arrivée dans le décor. Avec les siècles, Antonin n’avait jamais vraiment essayé de construire de relation avec des femmes. Il considérait que c’était inutile car de toute façon il ne finirait par ne leur apporter que du malheur. Pourtant, elle avait aimé Arlequin. Mais était-ce vraiment lui qu’elle avait aimé ou cette âme meurtrie? Antonin ne pu s’empêcher de serrer sa main dans la sienne. Il sentait que l’autre tentait de reprendre le contrôle. De le faire céder de nouveau. Il savait que comme d’habitude, ce n’était qu’une question de temps avant que la douleur ne devienne insupportable.

Elle avait bien raison sur un point, la chose qu’ils avaient en commun c’était de détester ce visage. Mais à part ça...

- S’occuper des choses ? Tout ce qu’il fait s’est les pousser à se détruire. Il ne comprend rien, il n’est pas humain.

Antonin se tu et se mordit la lèvre pour attendre que la douleur passe. Arlequin s’impatientait. Il en avait assez d’être à l’arrière. Antonin prit une profonde inspiration. Il luttait pour garder le contrôle.

- Tu sais...ça fait combien de temps...

C’était un enfer. Antonin attrapa le masque à deux mains, comme pour le tirer mais n’y arriva pas. Comment est-ce qu’elle pouvait vivre avec lui? Comme si de rien n’était? Elle se prenait pour un monstre. Elle n’avait aucune idée de ce que c’était un monstre. Elle ne pouvait même pas s’imaginer ce qu’il avait fait, ce qu’il avait pousser des gens à faire. C’était une chose de prendre du plaisir à faire souffrir les autres, s’en était une autre de leur faire vivre l’enfer.

- Tu ne le connais pas. C’est une question de temps avant que ça se retourne contre toi, contre Flore.

Il n’était là que pour ça après tout. Toujours. Il avait rendu Lully heureuse pour mieux lui briser le cœur avec son départ. C’était ce qu’il faisait le mieux. Donner pour arracher ensuite.

- Pas comprendre? Tu le connais depuis quelques années à peine...une fraction de secondes rien de plus.

Elle ne l’aidait pas. Elle lui disait d’arrêter de se battre. Antonin n’avait plus personne pour l’aider à tenir. Elle voulait qu’il s’enfonce, qu’il disparaisse et abandonne enfin le combat qu’il menait constamment depuis des siècles. Et elle le voulait uniquement pour elle-même. Antonin avait envi de pleurer, mais les larmes ne venaient pas. Il se sentait aussi seul que lors de toutes ces nuits passées sur le sol d’un cachot dans son propre sang. Il aurait pu hurler, personne ne l’aurait entendu de toute façon. Il se surprit pour la première fois depuis des siècles à prier. Il ne savait pas qui ou quoi, mais il priait. Il voulait revenir en arrière...être heureux comme pendant ces quelques années où il avait pu revivre l’enfance qu’on lui avait enlevé. Mais c’était impossible. Elle l’embrassa, il resta de marbre puis la regarda.

- Il nous conduira tous à notre perte...

Antonin pris une profonde inspiration puis son souffle s’accéléra et ses mains se crispèrent sous la douleur. À quoi bon continuer à lutter et à souffrir pour un monde qui ne voulait que le voir échouer, se débarrasser de lui. Il releva finalement les yeux en se détendant et en souriant.

- Désolé pour ce petit contre temps ma belle, j’espère qu’il ne t’a pas trop embêté.

Antonin s’était replié. Il était partie tenter de ramasser les morceaux qui restaient encore de lui au fond de cette coquille de chaire. Mais Lully avait eu ce qu’elle voulait, une journée avec le clown. Arlequin ne s’arrêtait jamais. Il passa la journée à courir à droite et à gauche, à disparaître et réapparaître. Ce ne fut que plus tard en soirée qu’il sembla se calmer enfin. Il était dans la cuisine, assis à la table devant un bol de céréales qu’il remuait avec une cuillère, son masque bien placé sur son visage. En entendant la voix de Flore, il releva un peu les yeux.

- Tu ne devrais pas parler à l’autre. Il ne te veut pas du bien.

Ce n’était pas la réponse la plus claire, mais vu le ton qu’il employait ce n’était probablement pas le bouffon psychopathe qui se tenait devant elle, à moins que ce ne soi qu’un jeu. Arlequin ne se souciait pas vraiment de Flore. Pour lui, c’était la fille de l’autre. Après tout, c’était quand même le corps d’Antonin et un enfant ça ne se conçoit pas avec autre chose. Il repoussa son bol de céréales.

- Tu les veux?

De toute façon, il ne voulait même pas les manger. Il ne savait même pas pourquoi il en avait. Il était simplement revenu à lui avec un bol de céréales placé devant lui.

Sympa? Ce n’était probablement pas comme ça qu’il se serait décri. En plus elle ne le connaissait pas vraiment. C’était bien la première fois depuis qu’il était avec Lully qu’il lui parlait vraiment. Apparemment elle les avait entendu ce matin-là, ce n’était pas plus grave que ça en fait.

- Je ne prétend pas aller bien.

En fait, il n’allait pas bien depuis longtemps, mais ça allait avec.

- Il devrait arrêter de me faire confiance. C’est un bon garçon, je ne voudrais pas lui faire du mal.

Antonin aimait bien Phil. C’était comme son petit frère. C’est lui qui le surveillait parfois quand ils étaient plus jeune. Ils avaient grandi ensemble après tout, aussi étrange que cela puisse paraître. Flore réussi à le faire sourire brièvement quand elle lui demanda d’enlever son masque. Il le dit et le posa sur la table à côté de lui. Pour Antonin, avec ou sans masque ça ne faisait plus une grande différence. Un masque, c’était ce qu’il était après tout.

- Tu serais beaucoup mieux chez Phil.

Elle serait plus en sécurité c’était évident. Antonin savait que ce n’était qu’une question de temps avant qu’Arlequin trouve un moyen de lui faire du mal. C’était inévitable car il pourrait ainsi lui faire du mal à lui et à Lully du même coup.

Un point pour quoi? Décidément, il la comprenait de moins en moins. Antonin ne mangea pas. Il se contentait de rester assis et de profiter de ce bref moment sans douleur.

- Ce sont de beaux principes Flore, mais je doute que nos cas soit comparable.

C’était quand même mignon de la voir essayer de résumer son état si simplement. Si seulement ça n’avait été que ça.

- S’il y a quelque chose dont je suis certain c’est qu’Edric est un homme juste et bon. Il te donnerait y’a chance si tu voulais seulement la saisir. Tu as encore une chance de ne pas finir comme ta mère et Arlequin. C’est vraiment la vie que tu veux?

Ce n’était pas ce qu’il lui souhaitait. Lully était une personne troublée qui pensait calmer ses peurs et ses angoisses en se vengeant sur le reste du monde, en se pensant plus puissante. Elle tomberait de bien haut si seulement elle savait à quel point elle n’était rien.

- Je ne veux pas qu’il vienne ici.

Il ne voulait pas que Phil se mette en danger et surtout il ne voulait pas l’exposer à ce genre d’influences. Il avait toujours su que Philippe était un peu instable. Il espérait qu’il tire Flore vers le haut et qu’elle ne fasse pas le contraire.

- Ce n’est pas un bon endroit, pour personne. Je ne pense pas que tu veux le mettre en danger ou risquer d’en faire un monstre alors tiens le loin d’ici et d’eux.

Est-ce qu’il était déjà trop tard pour elle? Il espérait que non, mais selon la façon dont elle parlait, elle avait déjà abandonné.

- Et c’est à moi que tu disais de ne pas abandonner? C’est vraiment ça la vie que tu veux?

Il n’aimait pas du tout ce qu’elle disait. Flore semblait s’être décidé à finir sa vie comme sa mère. C’était vraiment ce qu’elle voulait? Il ne voyait pas pourquoi elle n’espérait pas mieux au moins.

- Parce que c’est dangereux. Arrête de penser à toi pour une minute. Tu veux vraiment qu’il vienne ici? Tu sais aussi bien que moi qu’ici c’est la merde. Il n’y a rien bon, de bien, que de la souffrance. C’est ce que tu veux pour lui?

Antonin se crispa un moment. Et voilà que ça recommençait. Il aurait dû se taire et rester tranquille. Ça ne dura que quelques secondes, mais il savait qu’il n’allait pas le laisser tranquille si facilement.

Dangereux? Ce n’était pas vraiment capable. Les Solciers ne lui feraient pas ce que les Black Wings feraient à Phil. Flore ne semblait pas comprendre que les deux groupes étaient bien différents. Mais il ne pouvait pas vraiment la blâmer pour ça. Elle ne connaissait pas grand-chose de la vie. Il ne voulait pas du tout les empêcher de se voir. Il n’eut pas le temps d’ajouter quoique ce soit, elle se volatilisa. Il voulu la suivre, mais l’autre ne lui en laissa pas l’occasion.


Ce n’était pas de gaité de cœur qu’il était de retour dans cette ville. Mais, c’était la seule piste qu’il avait et il devait la suivre. C’était peut-être leur seul chance de le trouver en premier malgré la longueur d’avance de Chester. Il était donc dans les ruines de l’ancien hôpital. C’était là que la piste la plus claire semblait commencer. Teddy était concentré à essayer de retracer l’énergie quand il entendit quelqu’un de visiblement contrarié. Pourquoi fallait-il toujours qu’on le dérange? Il voulu simplement disparaître, mais en regardant la jeune fille, il sentit quelque chose de différent. Elle n’était pas une simple humaine. Intrigué, car il n’arrivait pas à déterminer ce qu’elle était, il s’approcha. Il ne prit pas la peine de se transformer pour avoir l’air humain. Il se disait que s’il ne savait pas qui elle était peut-être qu’elle saurait le reconnaître. Il s’approcha.

- Tu es perdu?

Après tout, Ange était bien perdu quelque part dans ce monde et il avait lui même été perdu avec Yamari pendant plusieurs années, alors peut-être qu’elle aussi.

Teddy resta sur ses gardes. Ça faisait peut-être trop longtemps qu’elle était coincée dans ce monde. Elle avait peut-être oublié qui elle était et pourrait être agressive. Il la regarda, essayant de déceler le moindre indice sur qui elle pourrait être.

- Je cherche quelqu’un.

Teddy s’arrêta. Et si elle était avec Chester et jouait la comédie pour le duper? Ce ne serait pas la première fois qu’il lui ferait le coup. Les feuilles sur son dos se hérissèrent.

- Qui es-tu au juste?

Son ton avait changé. Il était méfiant. Teddy se disait que Chester avait eu sa leçon pour un moment, mais il sentait l’étau de la guerre sur refermer autour d’eux et ce n’était pas le moment de se montrer négligeant. Les alliances se formeraient et se déféraient bientôt, il devait être en mesure de véritablement pouvoir choisir son camp.